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Nicolas Pécheux : Prendre soin

Dans cet article, je me permets de partir de l’affirmation suivante : au cœur des métiers du lien et au-delà de la préoccupation sanitaire, il existe une urgence du soin. Pour qui et comment ? Voici, à la place qui est la mienne, quelques pistes de réflexion.


En premier et tout d’abord, il s’agit de prendre soin des élèves ou plus précisément de la relation qu’on entretient avec chacun d’entre eux. C’est une des vertus pédagogiques relevées par Prairat et donc une vision plus globalement éthique du care à mettre en place. C’est la nécessité d’exercer ce que le chercheur appelle la sollicitude : le souci du lien. Pour cela, on ne cesse de tisser (un des gestes buchetoniens) les éléments, les émotions, les activités entre eux, entre elles pour que, surtout on ne perde rien, ni personne. Ni le savoir, ni les compétences qu’on est en train de construire avec eux. Cette relation patiente et en perpétuel mouvement parce qu’elle est humaine. Parce qu’un « holding didactique » (Blanchard-Laville) ne se crée pour une classe, pour un élève que pour qu’ils puissent s’en émanciper. Y parvenir, c’est s’appuyer sur la contenance du groupe conférée par une contenance individuelle propre à chacun qui peut déborder à tout moment.


Ainsi, il s’agit en deuxième de prendre soin de l’autre. On sait tous la tension voire le dilemme que tout professeur éprouve entre l’individuel et le collectif au sein de sa classe. À qui dois-je m’adresser à tous ou à un seul ? Dans l’immédiateté de notre pratique professionnelle, on ne sait parfois pas à qui faire attention, autrement dit qui regarder. Le risque de ne regarder personne à force de regarder tout le monde, de n’en regarder qu’un, etc. Moll nous explique très bien comme cet échange avec la mère uniquement visuel précède et constitue un langage chez le nourrisson. Si j’ai donc l’œil sur eux, c’est moins pour les surveiller que pour les protéger. Car c’est aussi cela, prendre soin : se reconnaître à travers la nécessaire protection qu’on doit à l’enfant, à l’adolescent. Plus que jamais, on peut peut-être réfléchir non à l’ensemble de ce que les élèves ont comme devoirs envers nous. S’ils en ont, rappelons-nous qu’ils en ont pour apprendre. Mettons en lumière ce que, nous, en tant qu’adultes, nous leur devons. Pour citer Oury, lui-même repris par Cifali, « c’est la moindre des choses ».


En dernier, et là aussi c’est le minimum, il s’agit de prendre soin de soi. Retrouver, construire, prendre soin d’un « je professionnel » parfois mis à mal. Perez-Roux rappelle bien que l’épanouissement professionnel interroge le rapport au travail en lui-même, aux autres, à la société et évidemment à soi. On est dans un équilibre en mouvement perpétuel qui s’appuie et vient de soi (transactions biographiques). Aussi, le sentiment de reconnaissance qui se joue dans les relations aux autres, à ses pairs, à sa hiérarchie (transactions relationnelles) existe car on se soucie (parfois trop peut-être) de l’image qu’on renvoie mais cette image, c’est la nôtre et son souci mesuré, c’est aussi une marque d’estime pour soi. Elle nous permet de faire face aux épreuves, aux nouveautés, aux imprévus qu’on nous oppose (transactions intégratives).


Aujourd’hui, plus que jamais, cela me semble essentiel. Constituer un moi tout entier conscient de la part des mouvements du monde qui nous échappent, non pour y rester sourd ou aveugle, bien au contraire, mais pour prendre garde à ne pas laisser toujours le soin aux autres.


Nicolas Pécheux. Professeur de français au collège Beau Soleil à Chelles (77) et formateur PAF.


Ouvrages ou articles évoqués :

Blanchard-Laville, C. (2018). Théâtre du corps de l’enseignant dans la classe. Dans M. Cifali, S. Grossmann et T. Périlleux (Dir.). Présences du corps dans l’enseignement et la formation. Approches cliniques. 94-108. Paris, France : L’Harmattan

Cifali, M. (2020). Tenir parole. Responsabilités des métiers de la transmission. Paris, France : PUF.

Moll, J. (2003). Des effets du regard et de la parole. Enfances & Psy, no24(4), 50-56. https://doi.org/10.3917/ep.024.0050

Perez-Roux, T. (2016). Parcours des enseignants et rapport au travail : quelles conditions pour un épanouissement professionnel ?. Dans L. Ria. Former les enseignants au XXIème siècle. t. 2. Professionnalité des enseignants et de leurs formateurs, 101-112. Louvain-la-Neuve, Belgique : De Boeck.

Prairat, E. (2017). Eduquer avec tact. Vertu et compétence de l’enseignant. Paris, France : ESF.


Article inédit

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