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Nicolas Pécheux : Prendre soin de l'erreur

On pense, selon l’expression consacrée, qu’on apprend de ses erreurs. C’est peut-être en réalité plus subtil que cela.


Demandons-nous ce que veut dire « apprendre » et relisons donc Astolfi. « Contre le tapis roulant des connaissances » (1997) et une représentation erronée de ce processus qui reviendrait à penser qu’il faut éviter l’erreur, l’auteur nous engage dans son ouvrage devenu un classique à laisser errer celui qui apprend. En revenir à cette étymologie de l’erreur pour se demander avec lui et avec bon sens « Comment ne pas “errer“ quand on ne connait pas déjà le chemin ? ». C’est bien là le rôle de celui qui enseigne : montrer le chemin tout en indiquant qu’il est compliqué justement de ne pas se tromper. Souhaitable ou pas, là n’est pas la question puisque l’erreur est là et qu’on doit y faire face ; acceptable ou pas, par contre…


Il est toujours difficile d’accepter de se tromper. L’erreur peut pousser à deux extrêmes : l’aveuglement et le déni d’un côté ; le reproche et la sanction de l’autre. L’école et son système ne manquent pas de nous y mener si, avec elle, on oublie que la difficulté est la norme en pédagogie. Sous la plume de Cifali, on peut lire : « J’ai l’impression qu’un enseignant fait [un] saut qualitatif lorsqu’il accepte de partir de la difficulté ; […] ; lorsqu’il entrevoit où est la souffrance de penser et d’enseigner ; quand il renonce à l’élève moyen, au maître moyen, et accueille ce qui surgit et bouscule la norme. » (2019). Normalement, il, elle aurait dû répondre, comprendre que… En fait, on apprend sans doute moins directement de ses erreurs que de l’acceptation de celles-ci, du discours et des mots qu’on élabore à partir d’elles.


Comment y parvenir ? Comment parvenir à faire accepter cet instant de l’errance ? Tout d’abord, en n’oubliant pas, que pour soi-même déjà, il n’est pas si facile de tâtonner, de bricoler, de ne pas savoir et que même ce que nous croyions savoir ou savoir faire n’est qu’un acquis provisoire face à telle ou telle situation. Ce décalage constructiviste entre les représentations encouragé comme un levier d’apprentissage fécond n’en est pas moins déstabilisant. Il n’y a qu’à évoquer les mots qu’on emploie pour le nommer : « choc », « conflit » sociocognitif. On dit aussi qu’une formation doit « déranger ». Tout cela est sans doute vrai et nécessaire puisque l’apprentissage procède par déplacement de représentations en représentations et que l’obstacle, fils de l’erreur, enclenche ce mouvement. Cela n’en reste pas moins désagréable voire angoissant.


Pour y faire face, l’erreur doit être une source de réflexion de plus sur le soin qu’on doit aux élèves. Plus précisément de la relation qu’on entretient avec chacun d’entre eux. C’est une des vertus pédagogiques relevées par Prairat et donc une vision plus globalement éthique à mettre en place. C’est la nécessité d’exercer ce que le chercheur appelle la sollicitude : le souci du lien. Pour cela, on ne cesse de tisser (un des gestes buchetoniens) les éléments, les émotions, les activités entre eux, entre elles pour que, surtout on ne perde rien, ni personne. Ni le savoir, ni les compétences qu’on est en train de construire avec eux. Cette relation patiente et en perpétuel mouvement parce qu’elle est humaine. Parce qu’un « holding didactique » (Blanchard-Laville, 2018) ne se crée pour une classe, pour un élève que pour qu’ils puissent s’en émanciper. Y parvenir, c’est s’appuyer sur la contenance du groupe conférée par une contenance individuelle propre à chacun qui peut déborder à tout moment.



Si j’ai donc l’œil sur eux, c’est moins pour les surveiller que pour les protéger. Car c’est aussi cela, prendre soin : se reconnaître à travers la nécessaire protection qu’on doit à l’enfant, à l’adolescent. Plus que jamais, on peut peut-être réfléchir non à l’ensemble de ce que les élèves ont comme devoirs envers nous. S’ils en ont, rappelons-nous qu’ils en ont pour apprendre. Mettons en lumière ce que, nous, en tant qu’adultes, nous leur devons. Pour citer Oury, lui-même repris par Cifali, « c’est la moindre des choses » (2020).


Nicolas Pécheux. Professeur de français au collège Beau Soleil à Chelles (77) et formateur PAF.



Ouvrages cités :


Astolfi, J-P. (1997). L’erreur, un outil pour enseigner. Paris, France : Sciences humaines.

Blanchard-Laville, C. (2018). Théâtre du corps de l’enseignant dans la classe. Dans M. Cifali, S. Grossmann et T. Périlleux (Dir.). Présences du corps dans l’enseignement et la formation. Approches cliniques. 94-108. Paris, France : L’Harmattan

Cifali, M. (2019). Préserver un lien. Éthique des métiers de la relation. Paris, France : PUF.

Cifali, M. (2020). Tenir parole. Responsabilités des métiers de la transmission. Paris, France : PUF.


Article inédit contracté avec celui sur le soin.

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