top of page

Nicolas Pécheux : La nécessité de « faire équipe ».

Si une équipe ne se réunit et ne communique que de manière virtuelle, existe-t-elle encore vraiment ? Réelle question autour de ce qu’on appelle la communauté éducative qui, si elle a forcément plus de mal à exister en ce moment, apparait aujourd’hui comme essentielle par son pouvoir de cohésion.


À la suite des événements, comme tous les Français actuellement, les enseignants se sont retrouvés forcés de rester chez eux, c’est-à-dire au sein d’un repaire qui, s’il apparait souvent comme rassurant, n’est en rien propice à « faire classe ». L’acte d’enseigner est relié à un lieu et une temporalité. Pourtant, à aucun moment, les professeurs n’ont reculé devant la tâche, mieux ils l’ont anticipée. La question n’était pas de savoir s’ils allaient faire cours mais comment ils allaient pouvoir atteindre leurs élèves, même à distance. Pourquoi cela paraissait-il si naturel à tout le monde ? Pour la simple et bonne raison, que comme Prairat le rappelle, une profession n’est ni une association, ni une communauté, elle se réunit par ce qu’elle a « à faire ensemble, ici et maintenant. » (2019 : 322). Qu’est-ce qui réunit donc des enseignants ? L’acte d’enseigner. Or, ce n’est en rien un acte banal parce que, quoi qu’on en pense, celui-ci repose sur des valeurs qui ont à voir avec la société tout entière : pour faire vite, un idéal d’émancipation, de formation du citoyen et d’une culture commune partagée par le plus grand monde. Cela forme une déontologie professionnelle que Prairat relie à des normes (2019 : 319). Ainsi, l’idéal posé précédemment ne serait qu’une belle idée, s’il ne s’appuyait pas, non seulement sur un programme et du prescrit, mais aussi sur un consensus fait de principes forts dont celui de l’éducabilité. Cette éthique professionnelle nous rassemble, même à distance.

C’est une cohésion qui n’efface pas la diversité. Les modalités, les supports, les activités et les tâches n’ont jamais été aussi différents. Pourtant, une équipe, si elle le souhaite, peut unifier le tout autour d’une même direction. Enseigner est autant une visée qu’un processus. Encore plus aujourd’hui qu’hier, pour éviter un malentendu qui risque de s’accroître par la fragmentation, le chemin d’apprentissage et ses objectifs peuvent et doivent être encore réfléchis. Ce n’est d’ailleurs pas les moments prévus par l’institution qui manquent habituellement (le conseil pédagogique, le conseil de classe, la réunion d’équipe, etc.). Ces réunions ont parfois l’air vaines. Pourtant, en ces temps, se réunir est une façon de faire se rencontrer une diversité bienvenue mais, de fait, éparse. En faisant équipe ainsi, la cohésion peut alors devenir une cohérence.


Pour aller dans ce sens, l’équipe pédagogique doit continuer de prendre en compte chacun des acteurs de la vie de l’école. Elle est le centre autour duquel se rassemblent le savoir, les enseignants, les élèves mais aussi en ce moment les parents. En ces temps de crise, le triangle pédagogique change de forme géométrique et devient carré. Pour reprendre Houssaye, l’étudiant apprend des savoirs, l’enseignant les enseigne et entre les deux un lien de formation s’établit. Que se passe-t-il avec ce nouvel acteur familial ? Aussi, que se passe-t-il lorsque la famille est absente et que, donc, l’élève se retrouve seul avec son savoir, son apprentissage et son professeur à distance ? C’est le risque du décrochage et de la non-rencontre avec l’école qui s’accroit à moins qu’on pense ce carré aux angles parfois absents comme une équipe en forme de cercle contenant pour l’élève. On ajoute alors à la cohésion et la cohérence, une sécurité qui peut porter chacun à travers la crise.


C’est un rappel évident mais je pense que c’est donc plus que jamais en faisant équipe – et pour cela les moyens ne manquent pas – que la communauté éducative continuera d’exister. La faire vivre est un devoir d’adulte, de professionnel pour les élèves mais aussi pour nous. Car l’équipe, si elle perdure de manière vivace, peut permettre à tous de se sentir considérés à la place qui est la sienne.


Nicolas Pécheux. Professeur de français au collège Beau Soleil à Chelles (77) et formateur PAF.


Ouvrage cité :

Prairat, E. (2019). Propos sur l’enseignement. Paris, France : PUF.


Article inédit

Recent Posts

See All

Le dire et le dit de l'école.

Le dire et le dit de l’école. La profusion des espaces de parole qu’ils soient réels ou virtuels concerne tout le monde et de fait...

Nicolas Pécheux : Prendre soin

Dans cet article, je me permets de partir de l’affirmation suivante : au cœur des métiers du lien et au-delà de la préoccupation...

Kommentare


bottom of page